« Vos nom et prénom, s’il vous plait ?
_ Tu me plait, Homme du pays ou se lève le soleil. Je vois sur toi les marques d’un passé fort ennuyeux, et d’une servitude sans limite envers tes pairs… Je m’appelle Noel. Jimmy Noël O’Connell.
_ Hum. Votre âge ?
_ Ha ! Tu sais, Citron Loquace… Ca fait un moment que j’ai arrêté de compter ces choses là, mais je dois avoir vu les feuilles tomber des arbres autour de quarante-cinq fois dans ma vie. »
En face de l’employé de bureau chargé de l’interrogatoire, un homme de bonne carrure était affalé sur la chaise mise à la disposition des nouveaux arrivants. Il n’avait pas pris la peine de retirer son vieux Stedson en cuir usé, poussiéreux, ceinturé d’un lacet orné de quelques pièces d’argent polies par le temps. Sous ce chapeau de cow-boy, des cheveux grisonnants tombaient devant son visage et sur ses épaules. Ils étaient fins, raides et devaient autrefois être bruns. Sous une barbe de 4 jours, un visage tanné par le soleil, très bronzé et marqué par quelques rides naissantes, affichait un petit sourire narquois. L’employé ne pouvait distinguer ses yeux à cause de l’ombre portée du chapeau. Ce cow-boy tout droit tiré d’une bande dessinée de Moebius portait une veste de costume gris, usée, passée, presque trouée par endroits, par dessus un boléro noir et une chemise blanche fermée au col par une cravate texane. Son pantalon assorti à la veste grise recouvrait des santiags en cuir brun qui semblaient avoir fait la traversée du désert. Elles étaient fièrement posées sur le bureau du recruteur, qui regardait cette mise en scène d’un drôle d’air, mais n’osait trop rien dire à la vue des deux colts reluisants de calibre 13 accrochés à deux ceintures de balles qui pendaient au ceinturon en cuir noir munie d’une boucle en argent sur laquelle était gravé un trèfle, symbole de son Irlande natale. Il tenait dans sa main droite une cigarette dont la fumée formait d’étranges volutes envoûtantes à l’odeur particulière. Certainement pas du tabac. Sur cette même main, à l’annulaire, il portait une bague en argent : deux mains tenant un cœur surmonté d’une couronne, la Claddagh ring irlandaise, et la pointe du cœur était tournée vers l’intérieur.
« Très bien, monsieur O’Connell… J’ai votre dossier avec moi, c’est assez surprenant.
_ Oh, vraiment ? Tu m’envoies désolé, Citron Loquace.
_ Il est dit ici que vous êtes quelqu’un de sérieux, un chasseur de prime de légende qui n’a jamais raté un contrat. Vous voulez que je vous dise ? Je n’en crois pas un mot. Vous n’êtes qu’un malade mentale accroc à cette drogue que vous fumez et qui vous provoque des hallucinations.
_ Vraiment ? En effet, c’est surprenant.
_ Il est dit que vous n’hésitez pas à tuer des innocents pour parvenir à vos fins, et que vous n’éprouvez aucune pitié pour vos victimes. Est ce que tout cela est vrai ?
_ Tu veux vérifier par toi même, amigo ?
_ Je n’en ferais rien. Comprenez que tous ces rapports qui décrivent une brute sanguinaire n’ont rien à voir avec l’homme que vous êtes aujourd’hui et que par conséquent, nous sommes en droit de douter de la véracité de ces faits.
_ Il m’arrive aussi de douter, mais jamais sur ce qui s’est déjà produit. Seul le futur est incertain, comme me l’a confié un jour un condor des montagnes rocheuses.
_ … »
Le japonais marqua un temps d’arrêt. Pour lui, il était clair que cet idiot du village n’était qu’un drogué notoire. Il tourna une page et lu celle qui décrivait le passé de Noel.
« Votre prétendu parcours est édifiant. Si vous êtes vraiment celui que ces papiers décrivent, vous devez être le plus craint de tous les chasseurs de prime d’Amérique.
_ Qui ça ?
_ Laissez tomber. Je crois qu’on s’est vraiment trompé de gars. Alors, vous êtes né en Irlande, de père et de mère inconnus. Vous y avez vécu jusqu’à l’âge de 13 ans, avant d’embarquer sur un bateau à destination de New York. Vous n’avez aucun souvenir de vos parents ?
_ Bien sûr que si, Citron Loquace, pour qui te me prends ? J’ai même parlé avec mon père, il y a quelques jours. Il avait la forme d’un arbre, mais c’était lui.
_ D’accord… Vous quittez donc New York pour aller travailler dans un ranch au Texas, où vous apprenez à monter à cheval et à manier une arme… Selon des témoignages, vous étiez le meilleur tireur du Texas à 14 ans. Personne n’a essayé de prouver le contraire en vous provoquant en duel ?
_ Oh, c’était il y a tellement longtemps… Je suppose que si, mais c’est interdit par la loi, ce genre de choses. Tiens c’est marrant, vous venez toujours travailler avec une veste verte ?
_ Ma veste est noire, poursuivons.
_ Ca alors…
_D’après ce que je lis, vous n’étiez pas du genre à vous soucier de la loi. Plusieurs séjours en prison pour violences, attaque à main armée… Vous avez même braqué les fidèles d’une église pendant la messe, et descendu le prêtre qui y officiait.
_ Ha ! Oui, ça… oui, hehe.
_ La vie de gangster vous a lassé, semble-t-il : quelques années plus tard, vous vous faites engager auprès du shérif d’une petite ville du Texas comme chasseur de prime, et c’est un succès. Vous avez arrêté un paquet de criminels, monsieur O’Connell… Quand vous ne les expédiez pas directement dans l’autre monde.
_ C’est justement cet autre monde que j’essaye de comprendre. Qui peut communiquer avec les esprits peut savoir bien des choses.
_ Et moi j’ai regardé « l’Exorciste » hier. Depuis pas mal d’années, ceci dit, vous avez cessé vos activités. Vous ne faites plus beaucoup parler de vous, mais votre nom est inscrit dans la légende, et tout le monde vous craint. Enfin, tout le monde craint le nom de Noel O’Connell. Quand bien même vous seriez cette personne, depuis le temps que vous n’avez pas fait parler la poudre, qui me prouve que vous êtes toujours aussi doué avec un revolver ?
_ Si vous êtes venu me trouver, c’est que le Grand Aigle l’avait décidé de cette manière. Vous aviez besoin de moi, et c’était mon destin que de vous suivre. La réponse est au bout de ce voyage, mais la route n’est pas tracée. Je dois suivre les plumes du Grand Aigle pour me guider.
_ On a vraiment du se gourer de type, ce zigoto n’est pas la légende vivante que décrit le dossier. Aller, je suppose que j'ai pas le choix... le patron est timbré ou quoi ? Passez par cette porte, Monsieur O'Connell, des instructions vous y seront délivrées.
_ Sayonara, comme on dit chez toi, amigo.
_ C'est ça... aller, du balais ! »
Le cow-boy se leva, une main sur son chapeau, l'autre sur la boucle de sa ceinture. Il se retourna, et marcha lentement vers la porte, qu'il ouvrit doucement. Elle s'ouvrait sur un avenir sinueux et aussi improbable qu'étrange. Noël allait intégrer un groupe de mariachis à ce qu'il avait compris. Ca promettait d'être divertissant .
Sujet: Jimmy Noël O'Connell 
Ven 11 Juin - 23:26
