Hessa Nûha [Ashura]

La jeune femme qui sort du petit hôtel, remonte sur son épaule la bretelle d'un sac à dos en cuir. De sa poche elle tire une cigarette. Elle ne l'allume pas, au premier passant qu'elle croise elle demande du feu, le jeune homme lui allume le bâtonnet et s'en va sourire aux lèvres.
Ashura fait jeune, vraiment jeune comparé à son âge. À 17 ans et quelques poussières, elle parle Urdu et Arabe, japonais et chinois. Des notions d'anglais et de rares touches de français : on penserait que c'est une jeune femme plein d'avenir, qui ira travailler dans d'autres pays. C'est le cas, elle est pleine d'avenir et elle travaille dans d'autres pays, mais pas pour les mêmes raisons.

À 17 ans elle a déjà un casier judiciaire plus long qu'elle n'est haute. Mais, dans la police de Doha, le commissaire est quelqu'un de très entreprenant, de particulièrement intelligent... Du moins, assez pour avoir vu chez elle une gamine vivant dans la rue sans autre moyens que le vol pour survivre. Aussi, il y a un an de cela, alors qu'elle était conduite menottes aux poignets dans son bureau, il lui proposa un nouveau job, une nouvelle vie. Mais avant de parler de cette dernière année, il me faut vous conter brièvement ce que fut son existence avant.

Enfant des rues, réfugiée venue survivre dans la crasse des ruelles sales de la grand ville du Qatar, Nûha accompagna sa mère des années durant pour faire la manche, pour des petits boulots, pour le pire comme le meilleur. Mais, à l'ombre des hauts murs de la ville, la maladie ne pardonne pas. Sous le soleil de ce pays du moyen-orient, Nûha perdit sa seule famille à l'ombre des cocotiers... Seule et désœuvrée elle survécu à mesure de larcins et de petits travaux plus ou moins reluisant.
"Livres ce paquet au monsieur et tu auras un peu d'argent"... Jamais elle n'ouvrit les paquets, tant que c'était livré on ne lui demandait rien en échange. Avec l'adolescence vint le risque, cambriolage, vol à l'arrachée. Elle et quelques autres jeunes s'étaient unis pour faire le pire et espérer le meilleur.
Constamment, elle cracha sur les lois jusqu'au jour où Il l'emmena. Dans le commissariat peuplé d'hommes en uniformes, dans le secret de son bureau mal ventilé où même les murs suaient douloureusement, il lui expliqua qu'elle avait une chance de ne pas faire de prison. Si elle acceptait de l'accompagner pour une expérience unique.
Loin d'être stupide, elle demande ce qu'était cette expérience, ce que deviendraient les autres... Eux ? Ils ne deviendraient rien que des travailleurs forcés. L'expérience ? Rien qui allait contre Dieu, rien qui ne soit prohibé, juste un nouveau projet et ils avaient besoin d'elle.
En échange, elle serait libre, elle vivrait bien et vivrait mieux que jamais personne n'aurait pu l'espérer. Elle signa sans lire les petites lignes.

Le lendemain matin, alors qu'elle passait une batterie de test médicaux et psychologique, dans un contener venu tout droit d'Allemagne, une cage et dedans un oiseau. Une hirondelle aux portes de la mort, qui n'attendait plus que la faucheuse vienne la prendre une seconde fois. Car, oui, cet oiseau avait déjà connu la mort. Une mort violente où un condor l'avait dévorée... Cette hirondelle était un anima et son élu avait été tué la veille au soir : un jeune homme plein d'entrain et de gaieté à qui une balle de sniper avait ôté une partie du crâne, défigurant pour toujours son sourire joyeux.

Le soleil était haut dans le ciel quand on lui fit porter un gant. Il était vraiment hideux, noir et couvert de circuits imprimés d'un vert fluorescent. On la poussa dans une salle sans fenêtre, des murs d'un blanc éclatant et sur la table l'hirondelle qui dépérissait.

-Prends l'oiseau avec le gant, lui ordonna une voix grésillant dans le haut-parleur coincé au plafond.

Sans se questionner, elle approcha sa main gantée de l'oiseau et l'enferma dans son poing.

-Maintenant dit : taraanah.

Tarranah. Harmonie. Sans hésitation dans sa voix, elle articula le mot...
La suite de l'histoire ? Il ne se passa pas grand chose. L'hirondelle devint son animal et Nûha dit Ashura devint un élu. Le groupe pourvoyait à ses besoin, elle alla même étudier d'autres langues avec une hirondelle sur l'épaule.
Si seulement l'histoire s'arrêtait là !

Vous vous souvenez qu'elle marchait dans la rue en ce moment même ? Et bien si vous regardez bien, du petit hôtel vient de sortir une autre jeune femme. Le bras plié, l'autre main dessus semblait caresser un objet invisible qui tenait sur son bras... Un léger hululement révéla la position de l'hirondelle invisible, et sa porteuse n'est autre que Nûha qu'on pensait déjà partie dans le sens opposé...
Non, elles ne sont pas jumelles, il s'agit bien de la même personne mais en deux exemplaires. Car, voyez-vous, il y a un an de cela, âgée de 16 ans, Nûha et son nouveau familier découvrirent qu'elle avait un don très particulier, celui d'ubiquité.

L'année qui passa, elle devint un membre de ce Groupe, en tant qu'élu et son familier. Don d'ubiquité, don d'invisibilité pour l'hirondelle, ces deux là étaient un duo gagnant. On l'entraina à espionner, à tuer, à... bien d'autres choses encore, car le groupe avait besoin de familiers pour continuer son trafic. Elle devint le chien qui chasse les renards et les loups, de la même espèce et leur pire cauchemar. Certes son franc parler, son assurance et ses manières douteuses lui valurent bien des ennuis... Cependant, qu'allez vous reprocher à votre pièce maitresse qui n'a encore que 17 ans ? Pas grand chose si ce n'est de rester discrète ! Ce qu'elle s'acharne à ne pas faire, bien entendu.
Cette dernière année ne fut pas la vie heureuse et facile à laquelle elle s'attendait. Bien sûr on lui payait ses frais, elle pouvait vivre comme elle l'entendait pour autant qu'elle travaillait correctement. Mais quand on vous met un fusil entre les mains et qu'on ordonne de tuer la cible avec qui vous avez copiné pendant trois mois pour vous assurer qu'il s'agissait bien d'un élu et de son familier... Pourtant, une fois le fusil en main, les mots ne viennent pas, le refus qui nait dans le cœur n'existe pas vraiment car il y a une différence énorme entre la survie de ces gens là et la vôtre. Elle choisi la voix prioritaire, sa survie, à elle.
Elle avait conscience que c'était elle, ou eux.

Et aujourd'hui est un grand jour ! L'une s'en va vers la ville, l'autre vers l'aéroport. On l'y attend déjà avec son billet d'avion et son passeport. Le groupe part dans un autre pays acheter d'autres familiers fraichement dépourvus de leurs élus. Car Ashura est membre à part entière du groupe, une entité organisée qui exporte et vend des familiers à prix d'or, cela va de soi.